samedi 29 mars 2008

Saturday night fever

Les toits

Un homme d'une trentaine d'années est seul en scène.
Il se tient sur un tabouret, debout, les yeux dans le vague, les bras écartés comme s'il voulait prendre son envol, il semble paisible, il prend trois grandes respirations, ferme les yeux et saute.
Noir
La lumière revient, il est assis au sol, le tabouret a disparu, il a tee shirt blanc sur lequel sont inscrits les numéros 307624 en gros caractères noirs.
Il lève les yeux, sourit tranquillement et commence à parler d'une voix un peu éraillée.
Montrant les numéros : "C'est mon matricule, je n'ai pas compris clairement ce qu'il signifiait, mais en gros, il indique le pourquoi du comment j'ai débarqué ici"
sourire
"Tu me diras, c'est tellement pas précis dans ma tête, je vois pas comment une série de numéros bidons pourrait éclaircir les choses. Pour moi. Eux savent. Tout. Ils ont tout vu, enregistré, répertorié, et enfin tamponné là" il désigne sa poitrine.
"Si ça peut les rassurer..." Sa voix s'affirme légèrement
"J"pense que ça me rassure,à moi, d'avoir zappé, y avait tellement d'injustice je crois, en tout cas c'est ce qui me tordait le ventre, c'est ce qui me tord toujours le plus le ventre l'injustice. Contre moi. Contre les autres ça m'attriste mais bon, j'suis humain, alors ça m'passe un peu au dessus du crâne." Il s'étire
"C'est marrant cette douleur, je m'en souviens comme si elle était toujours là, mais sauf qu'elle a disparu, elle a juste laissé un espèce d'arrière gout pateux au fond de la bouche, comme une gueule de bois mais en pire. J'crois."
Silence
"C'est ça le danger quand on fait toujours tout clean en fait, prendre les merdes qui nous arrivent comme un avertissement agressif complètement injustifié, se braquer, et subir. Plonger dans l'auto apitoiement, qu'est-ce que j'ai su l'faire ça. Frôler la paranoïa, crier à l'abandon, jeter les autres "qui peuvent pas comprendre", et continuer de croire qu'une force mysterieuse qu'on sait, ou veut peut-être tiens, du domaine de la fable, s'acharne à poster sur notre route des signes de la Destinée. Avec un grand D s'il vous plait. Des signes de merde, alors qu'on ferait sûrement mieux de se dire qu'après tout, on a des choses à faire, des gens à aimer, un boulot pour s'occuper, des sous à gagner, des musiques à découvrir, des films à voir, à revoir, à apprendre par coeur, à oublier, à reregarder, des nouveaux bars à dénicher, ... Les trucs normaux d'la vie normale qu'on a."
Silence, il est un peu éssouflé.
"J'crois."
sourire
"C'est rigolo, j'arrête pas de dire que j'crois, alors qu'avant j'avais banni ces mots, j'croyais pas j'vivais, le reste... Comme l'injustice des autres, au dessus du crâne PFIOOU, comme ça" Il fait mine de chasser une poussière inexistante sur son tee shirt.
"Mais bon, quand l'injustice attaque, elle fait ça sournoisement. Et ouais, elle se faufile discret un peu autour de nous, fait une ptite danse hypnotisante, balance un léger "trussssssst in me" super vicieux, façon serpent, et paf quand nous on a les yeux aussi larges que des callots et la langue qui pend elle mort. Pas fort bien sur, elle est sournoise on a dit, elle préfère que ça nous saute aux yeux un beau jour quand il est trop tard. Et le pull frotte sur la plaie, et c'est l'hiver, le pull est en laine, rêche, il gratte, infecte, élargie le trou, fout plein de poussières dedans, et c'est pas joli"
Petit rire
"Qu'est ce que j'aime les métaphores bordel..."
Il s'étire à nouveau
"C'est la victoire de la vipère. Du coup, là on a deux solutions. La première c'est se couper le bras, mais bon, le risque c'est qu'on s'y était habitué et qu'il pourrait éventuellement nous manquer. La deuxième, c'est faire avec, ignorer la douleur qui s'étend jusqu'à l'estomac, ignorer la teinte brûnatre que prend la morsure, ignorer tout ce qui s'y rattache. Y compris ces foutus signes de merde. Et tenter, je dis bien tenter de faire tout les trucs qu'on avait l'habitude de faire tout pareil, solution 1 ou solution 2, ça se tente, tout se tente."
Son regard part dans le vague quelques instants, mais il se reprend rapidement.
"Et puis y a ceux qui sont comme moi et qui se retrouvent un jour comme un con sur un toit, un jour ou il y avait encore des flaques de la pluie de la veille, ou de la lessive de la voisine qui s'égoutte du toit chevauchant, ou juste des mauvaises baskets aux pieds, et qui glissent, en voulant faire le beau devant les autres, ou tout seul, ou en voulant remettre l'antenne télé en place, ou en voulant voir la lune en entier, mais qui glissent, ou sautent d'ailleurs, qui sait, un foutu acte manqué arrive à tout l'monde. Le danger réel il est quand on réalise que la chute du toit est peut etre, ou pas, du au manque de notre bras, comme il était avant."
Soupir
"Saloperie de tee shirt, ils ont réussi..."
Noir
Lumière, il est assis sur le tabouret, son tee shirt roulé en boule à ses pieds.
Noir

mercredi 26 mars 2008