lundi 10 décembre 2007

Et puis merde.


La scène est vide, si ce n'est un grand crucifix qui est suspendu au centre.
Un homme, la trentaine, les yeux cernés, l'air hagard, entre en scène côté cour. Il porte un chapeau sur la tête qu'il s'empresse d'ôter d'un air gêné. Il époussette sa veste et réajuste son pantalon plutôt nerveusement. Il s'avance, observe autour de lui, passe devant le crucifix en lui jettant plusieurs regards du coin de l'oeil. Il fait cela une fois, deux, trois puis, à la quatrième, se poste en face de lui, très droit, fier, avec un air de défit.
Il esquisse un sourire, s'agenouille, joint ses mains, lève les yeux et se met à parler:

"Euh... Ouais... Woa... Ca fait longtemps hein.. Bon...
Alors comment dire ben en fait je ... je passais ouais voilà, je passais et hop hein je me suis dis bon voilà, j'ai pas grand chose à faire la alors je me suis dis ouais bon ben ça coute rien...
Alors je sais pas trop quoi dire ou trop comment dire non plus mais ... merci.
Je sais pas vraiment non plus pourquoi je dis merci hein vu que bon je n'ai jamais vraiment été convaincu de ton existence à toi, pis ton fils ou la mère et les autres. Enfin si le fils j'ai vu à la télé qu'il avait existé je crois mais, et la mère aussi d'ailleurs hein, mais toi... toi...
Enfin je me dis, ça peut faire quelqu'un qui écoute tu vois, c'est sur c'est bien d'avoir une réponse claire aussi, genre "oui euh il est vrai tu devrais faire ta vaisselle va en paix mon fils", mais bon je me dis que tu m'écoutes et c'est déjà ça.
Voilà.
Enfin quand je dis "je me dis que Tu m'écoutes" c'est pour moi ... Pour me rassurer, me dire que je suis pas totalement fou. Que quand je parle seul je te parle à toi. Que j'ai trop besoin de parler à quelqu'un... Enfin, laisse tomber, tu comprendrais pas, toi tout le monde te tape la causette 24 heures sur 24..."
Silence
"En fait, je sais pas hein, je me dis que c'est pas simple non plus hein ? C'est vrai, après tout, autant moi je parle pas beaucoup parce qu'on m'écoute pas, mais au moins je me sens pas coupable de pas trop faire gaffe quand ma femme... pfff... m'engueule ou quand mes chiards veulent absolument me raconter comment machin leur a tiré les cheveux et que c'est chose qui a voulu le défendre mais que la maîtresse... Bref, ou je voulais en venir ? J'ai failli dériver ou il faut pas s'aventurer par n'importe quel temps... Ah oui, toi, toi c'est vrai que tu fais qu'écouter, on t'accuses de tout, on t'engueule, on t'emmerde avec nos histoires à la con complètement ininterressantes, même pour nous ..."
Silence.
"Ouais en fait le truc à faire, c'est se la fermer, définitivement, supporter en silence, aller boire un canon en rentrant du boulot, tenter sa chance encore une fois au keno, perde 4 euros, se dire que c'est la dernière fois en sachant très bien que demain on se fait avoir à nouveau, poaaaaa ça rime bordel... J'ai toujours su que j'aurai du être artiste putain. Pardon, milles excuses, ça se fait pas, jurer dans un lieu saint comme ça. Quel lourd je fais... A chaque fois qu'y a un plat je mets les quatre fers dedans.... Je sais même plus pourquoi je suis passé, je sais que je voulais lâcher un truc précis, vider mon sac comme y disent, mais voilà je me suis encore empetrer dans mon grand n'importe quoi et je me retrouve agenouillé à parler à deux poteaux cloués à la con. Scuse, puis merde, non, j'en ai marre de m'excuser tout le temps, de faire semblant de pas être là, de supporter les conneries de tout le monde en ouvrant jamais ma gueule ! Depuis qu'on naît jusqu'à c'qu'on meure tout le monde nous fais chier toute la journée, ta famille imposée, celle que tu choisis, tes collègues à la poste, les connasses de clientes qui trouvent qu'on fait trop la grève et qui du coup reçoivent pas leurs godes La Redoute à temps, les connards en voiture le matin qui te rouleraient dessus parce que ta tronche sur ton vélo jaune ça les fait suer et inversement..."
Silence
"J'en peux plus tu sais... De cette vie que j'ai pas choisi vraiment... Qui m'est tombée dessus sans que j'la vois venir. Je me rends bien compte que je peux pas t'accuser, ce serait nul de ma part après t'avoir dit que j'étais même pas sur que t'existais. Puis même, c'est moi, j'aurai pu devenir autre chose, j'aurai pu réfléchir avant d'engrosser l'autre pour faire chier sa mère qui voulait pas de moi pour elle, avant de tout quitter par fierté, avant d'insulter les amis parce que j'étais jaloux et que je me disais qu'c'était eux les rebuts qui savaient pas ce qui voulaient...
Merde...
Voilà tu vois, je viens pour te dire bonjour et je me retrouve limite à chialer sur mon sort avec les bigottes de derrières qui s'insurgent à chaque fois qu'elle entendent "une grossierté", quelles connasses elles aussi, passent leur temps à colporter les ragots et à critiquer le joyeux monde sourire aux lèvres et elles s'insurgent si elles entendent le mot "merde". De toutes façons c'est une connerie de dire qu'on a pas le droit de dire ces mots dans une église parce que de toute façon celui qu'a créé le monde c'est dieu, dieu c'est toi, les gros mots ils font parti du monde et là on est dans une de tes nombreuses résidences secondaires donc chez toi donc je peux dire MERDEEEE!
Voilà."
Silence
"Ca c'est fait, j'ai ouvert les yeux aux monde, j'ai dit une saloperie, enfin, des saloperies dans une eglise, j'ai compris ton message, mais là c'est l'heure de manger et si j'arrive en retard l'autre grognasse aura encore une fois trop fait cuire mon steak. Embrassades vieux, je repasserai, ça défoule..."
Il se lève, s'étire un peu, remet son chapeau avec un nouvel air de défit et sors.

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